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MARTINIQUE
Notice historique

Paulette Nardal

Guide des Colonies Françaises : Martinique, Guadeloupe, Guyane, St. Pierre-Miquelon, Paris, Société d’Éditions Géographiques, Maritimes et Coloniales, 1931.

III. NOTICE HISTORIQUE

DÉCOUVERTE DE LA MARTINIQUE

C’est le 15 juin 1502, au cours de son quatrième voyage, que Colomb découvre la Martinique. Ce n’est pas sans amertume qu’il dut faire ce magnifique présent à l’Espagne ingrate.
Après son premier, voyage, Ferdinand le Catholique, roi d’Aragon l’avait nommé « Grand Amiral et roi du Nouveau-Monde. » Colomb lui avait donné avec le Nouveau-Monde, les Grandes Antilles: Cuba, Haïti, la Jamaïque. Le célèbre navigateur fit plus tard deux autres voyages au cours desquels il découvrit les Petites Antilles. Puis ce furent l’abandon cruel
du roi et du peuple, l’injustice et la disgrâce pour des fautes qu’il n’avait point commises.
Mais il ne semble pas que Colomb ait connu la Martinique à cette époque. Vers 1498, le géographe Juan de la Cosa dresse une mappemonde sur laquelle il ne mentionne pas la Martinique bien que la Guyane y figure déjà. Les Petites Antilles sont simplement désignées sous le nom d’Îles des Cannibales, suivant les indications données au géographe par les Caraïbes des Grandes Antilles. C’est donc à son quatrième voyage que Colomb s’arrête pour la première fois à la Martinique. Selon Condillac, il commandait alors la Caravelle-amiral « La Capitaine » et trois autres bâtiments, le « Saint-Jacques de Palos », le « Galicien » et la « Biscaïenne ». L’île inconnue se montrait à lui sous la lumière magique du soleil équatorial, comme une immense forêt au feuillage sombre, dominée par l’élan altier des pitons aux cimes couvertes de nuées. Aucune des îles du S. ne l’avait aussi fortement impressionné.
Les quelques Indiens d’Haïti qu’il avait à son bord lui dirent que cette terre s’appelait « Madiana » (l’île aux fleurs) ou « Madidina » (île fertile et belle par ses végétaux). Colomb
apprit aussi que sur ces montagnes aux flancs de porphyre et de basalte les habitants des Antilles avaient placé le berceau du genre humain. Les Caraïbes auraient chassé les premiers occupants de l’île, les Ygneris et c’est sur ces montagnes que les vaincus se seraient réfugiés.
Colomb ne tarda pas à faire connaissance avec les Caraïbes qu’on lui avait dépeint sous les apparences d’hommes intrépides, mais cruels envers leurs ennemis. Comme il s’engageait dans le canal de Sainte-Lucie qui sépare l’île du même nom de la Martinique, il rencontra un gommier conduit par des Caraïbes Galibis, hommes au teint presque blanc, vêtus d’un simple pagne, mais armés de flèches et de massues. Ne se laissant point tenter par les objets que leur offraient les marins espagnols, ils livrèrent combat à ces derniers, en dépit de leur supériorité numérique. Vaincus, leurs canots retournés, ils continuèrent à se battre dans la mer.
On dit que Colomb n’aborda pas dans l’île. Il se contenta de la pointer sur la carte et d’y lâcher, suivant sa méthode, des cabris et des porcs. Le 17 juin, il faisait voile vers Saint-Domingue.
Certains historiens font dériver le nom de l’île, de la fête de Saint-Martin, jour de sa découverte. D’autres y voient la déformation du mot caraïbe « Madinina » dont on fit plus tard Martinique.


LES CARAÏBES

Qu’étaient au juste, ces autochtones que les Espagnols appelaient Caraïbes ou Caribes ?
On leur donnait aussi le nom de Cannibis, à cause de leur réputation d’anthropophagie. « Cannibi » est tiré de Cannibales. En 1508, le géographe Juan de la Cosa désignait par « Islas de Cannibales » les îles placées au S. de la Guadeloupe
On a émis les opinions les plus contradictoires sur l’origine des Caraïbes. Cependant tous les historiens s’accordent à penser que les Caraïbes n’étaient pas les premiers occupants de la Guadeloupe. Ils auraient supplanté une race plus ancienne, les Indiens Arawaks ou Arrouagues.
Cette affirmation est basée sur le fait que les femmes caraïbes trouvées à la Guadeloupe parlaient entre elles un idiome différent de celui qu’employaient les hommes entre eux. On suppose donc que les conquérants avaient exterminé les hommes et gardé les femmes. Cette différence de langage subsiste jusqu’à nos jours chez les derniers descendants caraïbes réfugiés à la Dominique, aux Grenades et à Saint-Vincent.
Certains historiens supposent même que les Arrouagues avaient à leur tour supplanté une race plus ancienne encore sur laquelle on n’a pas de renseignements bien précis. Les uns l’appellent Cibounays, les autres (pour la Martinique) Ygneris.
En tout état de cause, lorsque les Français essayèrent d’utiliser la main-d’œuvre autochtone à la Martinique, il y avait trois races d’Indiens en présence. Les Caraïbes, ou naturels de la Guadeloupe, selon Du Tertre, et deux sortes de « sauvages », les Arrouagues et les Brasiliens, originaires de l’Amérique ou, comme on l’appelait alors, de la Terre-Ferme. Les Caraïbes étaient fort redoutés des Arrouagues et des Brasiliens. Lorsque ces derniers étaient vaincus, les Caraïbes les vendaient comme esclaves aux Français, Hollandais et Anglais et gardaient leurs femmes.
Mais quelle était l’origine exacte de ces envahisseurs que chassèrent finalement les Français ?
Si l’on croit de Rochefort et le Père Labat, les Arawaks seraient venus des terres avancées de la Floride. Ayant gagné les Bahamas ou Lucayes, ils auraient envahi les Antilles, utilisant ainsi l’arc de cercle qu’elles forment du Yucatan aux bouches de l’Orénoque ; sur leurs « gommiers » rapides, ils auraient traversé les bras de mer qui séparent les îles. Des Guyanes et du Brésil, ils se seraient répandus dans l’intérieur des terres.
Les découvertes archéologiques et ethnographiques aussi bien que celles de la linguistique permettent de penser que cette opinion est erronée.
Les Arawaks seraient, au contraire, originaires de l’Amérique du Sud et surtout du Venezuela. C’est par les Petites Antilles les plus rapprochées de la Terre-Ferme qu’ils auraient commencé à envahir l’archipel suivant l’itinéraire : Trinidad, Tobago, Grenade, Saint-Vincent, la Martinique, la Dominique, la Guadeloupe. De là, ils auraient passé aux Grandes Antilles, à la Jamaïque et à Cuba.
Les Arawaks semblent avoir été une race extrêmement pacifique, ce qui explique la molle résistance qu’ils opposèrent aux Caraïbes et leur extermination à l’exclusion de l’élément féminin. Comme nous l’avons indiqué plus haut, les Indiennes, bien qu’apparemment de la même race que les hommes, parlaient entre elles l’idiome arawak tandis que les hommes employaient le caraïbe, mais hommes et femmes comprenaient les deux idiomes.
C’est le Père Du Tertre qui donne la preuve la plus convaincante de l’origine sud-américaine des Caraïbes. D’après lui, ils seraient les descendants des Indiens Galibis qui, de nos jours, vivent à l’état sauvage, sur les rives de l’Oyapock et du Maroni. Ces Caraïbes seraient donc originaires des Guyanes.
Or, les renseignements laissés par les différents historiens de l’époque sur l’aspect physique, la vie, les mœurs, le caractère des Caraïbes, concordent d’une façon frappante avec ceux que nous possédons sur les actuels Galibis des Guyanes.
Au point de vue archéologique des découvertes récentes faites à la Guadeloupe et à la Dominique: figure de femme gravée sur la pierre, dessins primitifs, poteries grossières et bariolées, fournissent des données précieuses sur la parenté de ces deux races.
Les bijoux trouvés au Mexique et dans le haut plateau colombien présentent une ressemblance frappante avec ceux que portaient les quelques Caraïbes des Antilles dont les hameçons d’or, les narigueras et les karakolis avaient éveillé la cupidité des Espagnols. Ceux-ci crurent un moment qu’il existait des mines d’or aux Antilles. Mais il est démontré maintenant que « l’élément essentiel de cette industrie, c’est-à-dire 1’alliage d’or natif et de cuivre, a été apporté sur le haut plateau colombien par les tribus karib venues du Venezuela et que le centre de la découverte doit être placé dans l’arrière-pays guyanais » (Rivet).
Il n’est pas étonnant que les Caraïbes de la Terre-Ferme aient porté aux Antilles, en même temps que leurs mœurs, leurs industries ; quelques-unes, telles les jolies vanneries connues sous le nom de « paniers caraïbes », subsistent encore de nos jours.
D’autre part, au point de vue de la linguistique, il est prouvé que le berceau des races caraïbes se trouve au Brésil, quelque part, dans la région de l’Amazone. On remarquera que beaucoup de mots caraïbes des Guyanes subsistent encore aux Antilles, soit comme mots usuels ou sous la forme de noms propres. À la Guadeloupe nous avons le bourg du Matouba, à la Martinique, la Pointe Caracoli, du nom même de ces bijoux que certaines tribus rapportaient de leurs incursions sur le continent.
Ces karakolis étaient formés d’un croissant d’or, incrusté dans une plaque de bois qu’une cordelette retenait autour du cou. Il faut bien reconnaître que les premiers habitants de la Guadeloupe, quel que soit le nom qu’on leur donne, Taïnos (terme employé pour désigner les Arawaks émigrés aux Antilles) ou Caraïbes, étaient originaires de l’Amérique du Sud.
Les historiens ont laissé de ces Caraïbes, un portrait flatteur, nonobstant leur réputation d’anthropophagie. Montaigne a-t-il été influencé par leurs récits en écrivant son portrait du bon sauvage ?
C’étaient des gens simples et d’un naturel doux. Ils étaient réputés pour leur loyauté et ne se montraient cruels qu’envers leurs ennemis jurés et ceux qui les avaient trompés.
Ils vivaient dans un état de liberté absolue, sans aucune contrainte, ne travaillant que lorsqu’ils avaient faim. Alors ils se mettaient en quête de gibier ou de poisson. Leurs femmes-esclaves préparaient leurs repas dans les huttes que l’on appelait carbets.
De taille moyenne, ils avaient les yeux noirs, légèrement bridés, les cheveux longs et noirs. Le teint serait presque blanc s’ils ne se teignaient le corps au roucou délayé dans de l’huile de carapa, pour se protéger du soleil. Un pagne extrêmement réduit composait toute leur parure. Parfois, avec le suc de certains fruits, ils s’ornaient le corps de dessins variés qui rappellent étrangement ceux que les Galibis actuels reproduisent sur les poteries grossières qu’ils fabriquent.
Ils étaient d’un extraordinaire longévité et ignoraient la maladie.
Ils fabriquaient eux-mêmes leurs armes. C’étaient des flèches, des arcs, des massues, des haches de pierre, qu’ils attachaient à leur ceinture. Les Galibis actuels portent, à la même place un couteau toujours ouvert.
Ils étaient fort courageux et d’une adresse incomparable à la chasse et à la pêche.
Les Caraïbes étaient polygames, seul point qui les différencie des Galibis chez qui on observe un véritable culte de la famille. Mais il faut aussi se rappeler que les Caraïbes avaient gardé les femmes Arawaks après avoir exterminé les hommes, ce qui pourrait expliquer cette différence.
Leurs femmes se livraient à tous les travaux domestiques, préparation des lits de coton, fabrication de « cassaves » ou galettes de manioc. C’étaient elles aussi qui s’occupaient de travaux de jardinage et tissaient des pagnes.
Les Caraïbes étaient d’une nature mélancolique ; mais ils devenaient terribles dès qu’ils avaient absorbé l’eau-de-vie appelée ouycou qu’on servait aux grandes réjouissances. Toutes leurs fêtes étaient empreintes d’une gaîté sombre et effrayante et se terminaient le plus souvent par des rixes.
Dans leur religion se retrouve la lutte de l’Esprit du Bien et l’Esprit du Mal. Ils croyaient que l’homme avait trois âmes.
De caractère hautain, ils ne purent jamais se plier aux besognes serviles. Ils avaient recueilli chez eux des esclaves noirs qui avaient fui leurs maîtres espagnols et les laissaient partager la vie de la tribu.
Mais ils préférèrent l’exil ou la mort à la perte de leur indépendance. De notre époque, la fière race caraïbe est à peu près éteinte.
On ne peut pas affirmer qu’elle se soit alliée à la race noire et qu’elle ait donné naissance à une race nouvelle. Devant l’irréductibilité des Caraïbes, les colons préférèrent les déporter à la Dominique, à la Barbade et à Saint-Vincent où leurs derniers descendants achèvent de mourir.


COLONISATION FRANÇAISE À LA MARTINIQUE

La fièvre de l’or qui possédait les Espagnols, les rendit dédaigneux de l’île nouvelle. Attirés par les mines d’or fabuleuses du Pérou, ils tournèrent le dos aux Antilles qui n’étaient plus à leurs yeux que de méprisables « kayes », c’est-à-dire des blocs de rochers battus par les flots de l’Océan.
Madinina devait rester pendant près d’un siècle la propriété absolue des Caraïbes.
C’est à la France que revient l’honneur d’avoir fait de la Martinique la colonie prospère qu’elle est maintenant. Mais ce ne fut pas sans peine et sans sacrifices de la part des premiers colons normands, bretons et gascons.
En 1635, Pierre d’Esnambuc, se trouvant à l’étroit dans l’île de Saint-Christophe qu’il partageait avec les Anglais, conçut l’idée de s’emparer de la Guadeloupe et de la Martinique. Les avantages qu’offrait à la flotte et au commerce français la position avancée de cette dernière île n’avaient point échappé à l’avisé normand. Dès qu’il connut les résultats fort satisfaisants du voyage d’études que, sur son ordre, Guillaume d’Orange avait effectué dans ces îles méridionales au prix de mille périls, il s’arrangea pour obtenir de Richelieu l’autorisation d’installer des comptoirs à la Martinique. L’exploitation des colonies des Antilles fut confiée à la Compagnie des Îles d’Amérique qui donna à deux gentilshommes français, Lyénard de l’Olive et du Plessis, le commandement des trois îles : Martinique, Guadeloupe, Dominique.
Ces derniers s’embarquèrent à Dieppe, accompagnés de 500 engagés. Après un mois de traversée idéale, ils arrivèrent à la Martinique à l’endroit même où Colomb avait été si mal accueilli par les Caraïbes. Mais, effrayés par l’hostilité des Caraïbes et surtout par le grand nombre de serpents qu’ils rencontrèrent dans l’île, ces premiers colons préférèrent se
rendre à la Guadeloupe.
Ce n’est qu’un mois après cette première tentative d’établissement que le sieur d’Esnambuc, capitaine général de l’île de Saint-Christophe, débarque à la Martinique, accompagné de 100 hommes rompus aux travaux de la colonisation, bien équipés et acclimatés à ces régions tropicales. Il aborda à l’endroit où devait s’élever plus tard la ville de Saint-Pierre.
En bon colonisateur, il s’empressa de faire construire un fort et de l’armer de canons et de munitions. La ville s’appela alors « Fort Saint-Pierre », nom que devait garder un des quartiers de la ville disparue à la suite de la catastrophe du 2 mai 1902.
Mais les nouveaux colons durent livrer aux Caraïbes des combats sanglants qui se terminaient le plus souvent par la défaite de ces derniers, malgré leur résistance acharnée.
La paix fut conclue avec les Caraïbes à la fin de 1635.
Peu de temps après, d’Esnambuc, malade, ne voulant pas laisser périr l’œuvre qui lui avait coûté tant d’efforts, confia la direction de l’île à son neveu, le lieutenant Duparquet, en qui il avait discerné l’intelligence, le courage, l’autorité, en un mot, toutes les qualités nécessaires au colonisateur de cette époque. Duparquet devait être à la fois colon, guerrier, administrateur, juge, homme de bien et chrétien.
La Compagnie des Isles d’Amérique consentit à vendre la Martinique au neveu de d’Esnambuc pour 60.000 livres tournois. À la propriété et seigneurie de la Martinique s’ajoutait celle de Sainte-Lucie, de la Grenade et des Grenadines. Ce consentement avait été provoqué par les résultats très satisfaisants qu’avait obtenu par sa bonne administration Duparquet, malgré tous les obstacles qu’il eut à vaincre : combats entre « habitants » et Caraïbes, difficultés avec les hommes indisciplinés qu’étaient les engagés, épidémies...
C’est lui qui favorisa l’établissement des Jésuites et des Dominicains à la Martinique. Il encouragea grandement les défrichements, « créa quatre quartiers nouveaux et indiqua celui du Fort-Royal ».
À la mort de Duparquet, en 1657, ses biens revinrent à ses enfants. Mme Duparquet pendant la minorité de ses enfants devint gouvernante de l’île, mais elle ne réussit pas à s’entendre avec ses administrés. En 1658, les révoltes continuelles, les guerres qui avaient abouti à l’extermination des Caraïbes, la mauvaise administration, la menace de ruine, décidèrent Louis XIV à reprendre la Martinique aux enfants de Duparquet, contre une indemnité de 120.000 livres tournois.
En 1664, la Martinique est placée sous la tutelle de la Compagnie des Indes Occidentales, nouvellement créée par Colbert. Cette société provoqua par ses exigences de telles révoltes que le roi fut obligé d’en prononcer la dissolution. La Martinique fut alors réunie au domaine de la Couronne (1674).


CONDITIONS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES JUSQU’EN 1789

Au cours de l’année 1650, un navire espagnol, chargé de Noirs d’Afrique fut capturé par les flibustiers et amené à la Martinique. Les Africains, considérés comme esclaves furent vendus aux habitants et employés avec les engagés aux travaux d’agriculture.
C’est ainsi que l’esclavage fut établi à la Martinique. Son promoteur aux Antilles fut le Dominicain espagnol Las Casas qui s’était fait le protecteur des Caraïbes. Mais ces derniers préfèrent le plus souvent la mort à la servitude. À peine toléré au début par la royauté, l’esclavage fut bientôt admis comme une chose nécessaire et même réglementée.
En 1664 le gouvernement royal s’occupa officiellement de la traite et fonda, à cet effet, la Compagnie du Sénégal.
En 1685, le Code Noir, œuvre de Colbert et Seignelay fut promulgué. Il étendait les droits des maîtres sur les esclaves, mais fixait les devoirs des colons vis-à-vis de ces mêmes serviteurs. Ce Code, assez humain pour l’époque, ne fut pas, à vrai dire, strictement observé, pas plus que les restrictions du Pacte colonial, œuvre de Mazarin et résultat logique des doctrines mercantiles de l’époque. Ce pacte favorisait le commerce, l’industrie et la navigation de la métropole, et frappait de droits prohibitifs le commerce de la colonie avec les autres nations. Ce régime commercial entrava l’essor économique de la Martinique et causa la faillite des Compagnies de colonisation.
La situation économique à la Martinique avant 1700 était presque désastreuse, pour les raisons que nous avons indiquées plus haut. Cependant cette situation allait s’améliorer grâce à l’introduction de plantes étrangères qui, par la suite devinrent pour la Martinique une source de richesses. Jusque-là, les colons s’étaient adonnés à la culture du pétun ou tabac qui leur servait de monnaie d’échange dans leurs transactions avec les Compagnies. Après, ce fut la livre de sucre, ou toute autre denrée, jusqu’en 1672 où une ordonnance royale institua à la Martinique le système monétaire de la métropole. Avec le tabac, les colons cultivaient le coton, le manioc, la patate, l’igname.
En 1654, la canne à sucre est importée à la Martinique, par le juif brésilien Benjamin d’Acosta. En 1660, la culture du cacaoyer commence à remplacer celle du cotonnier. En 1723, c’est un plant de café d’Arabie qu’apporte Desclieux au prix de mille privations. Bientôt, les colons plantèrent le roucouyer et l’indigo et même le mûrier. On commençait aussi à aménager des rizières.
Vers la fin du XVIIIe s., en dépit des guerres, des cataclysmes, des révoltes dont nous parlons plus loin, la Martinique était la plus prospère des possessions françaises aux Antilles.
À cette époque, la population de l’île se composait de quatre éléments bien distincts : 1° Les colons ou habitants, propriétaires de plantations qui payaient au gouvernement local une redevance en tabac, en coton et en sucre ; 2° Les bourgeois, anciens « engagés », (employés blancs auxquels on donnait après une concession en échange de leur dur labeur). L’institution des engagés fut supprimée en 1738 ; 3° Les esclaves émancipés ; 4° les esclaves. Vers 1738 également le nombre des noirs importés d’Afrique s’élevait à 58.000.
Les colons blancs et les engagés étaient des hommes au caractère aventureux qu’attirait le mirage de l’Eldorado des Isles.
Vers 1700, une loi vint interdire les mariages entre blancs et noirs qui se produisaient assez souvent. Cela n’empêcha point les unions entre les maîtres et leurs esclaves, ainsi qu’en témoigne l’extraordinaire variété de teints que l’on peut observer chez les Martiniquais.


LA MARTINIQUE AU XVIIIe SIÈCLE

Le changement heureux qui s’était opéré dans la situation économique de la Martinique eut aussi pour cause l’intérêt tout particulier que le gouvernement porta aux colonies après le traité d’Utrecht (avril 1713). On sait que ce traité enlevait à la France Terre-Neuve, l’Acadie et Saint-Christophe. Louis XVI qui voulait réorganiser les colonies affranchit le commerce martiniquais des droits excessifs qui avaient entravé son essor.
L’Annuaire officiel de la Martinique (1913) nous apprend que la Martinique fut pendant le XVIIIe s., le chef-lieu et le marché général des Antilles françaises. « C’était à la Martinique que les îles voisines vendaient leurs productions et achetaient les marchandises de la métropole. L’Europe ne connaissait que la Martinique et pendant plus d’un siècle, les autres îles françaises de l’Archipel des Antilles demeurèrent dans la dépendance de cette colonie. »
Une des causes les plus agissantes de la préséance de la Martinique fut et demeure sa position géographique. Jamais possession antillaise ne fut l’objet d’autant de convoitises.
La Martinique étant, outre la sureté de ses forts, une des premières escales pour les navires venant d’Europe, on comprend l’acharnement que certaines nations mirent à s’en emparer.
La population de l’île eut à repousser avec des fortunes diverses de nombreuses attaques anglaises (1666, 1667, 1693, 1697, 1704, 1756, 1759, 1762).
Le traité de Paris, en 1763, rend la Martinique à la France, mais laissa la Dominique aux Anglais.
C’est à cette époque que le roi décide de faire élever des fortifications dans l’île. On commença aussitôt à poser les fondements du Fort-Bourbon, aujourd’hui Fort-Desaix qui coûta plus de 10 millions.
Pendant la guerre de l’Indépendance américaine, les milices locales de la Martinique reprirent la Dominique ; s’emparèrent des îles de Nièvres, de Montserrat et de Saint-Christophe, puis de Saint-Vincent et de la Grenade. La Martinique participa glorieusement à cette guerre. La signature du traité de Versailles en 1783, lui donna, avec la paix, de nouveaux éléments de prospérité.
Cependant, La Martinique avait été, elle aussi, terriblement éprouvée par toute une série de catastrophes : les cyclones de 1747 et de 1766 l’avaient couverte de ruines en même
temps qu’ils fauchaient de nombreuses vies humaines. En 1727, un tremblement de terre avait détruit beaucoup de maisons de Fort-Royal. À ces maux vinrent s’ajouter les insurrections
noires, qui furent le plus souvent réprimées dans le sang. On ne peut s’empêcher de s’étonner que la Martinique ait pu triompher de tous ces obstacles. II faut reconnaître là une des marques du courage que cette vaillante population montra jusqu’à nos jours dans les pires circonstances.
Deux faits importants à signaler en 1763 : l’expulsion des Jésuites de tout le territoire français des Antilles, à la suite de la faillite du père Lavalette qui possédait des établissements de commerce dans l’île.
Le 24 juin 1763, naît aux Trois-Islets, Joséphine Tascher de la Pagerie, future impératrice des Français.
En 1787, Louis XVI crée une Assemblée coloniale composée de fonctionnaires et de colons. Elle était destinée à limiter le pouvoir des colons. Auparavant, la Martinique était soumise aux lois et aux règlements appliqués dans la métropole. La création de cette Assemblée et surtout la question des impôts ne firent qu’envenimer la rivalité qui existait entre ruraux et citadins.
Ces luttes auxquelles vint s’ajouter l’agitation noire, devaient durer pendant toute la Révolution.


LA MARTINIQUE ET LA RÉVOLUTION

La Révolution française eut ses contrecoups douloureux et tragiques à la Martinique. L’espoir de la liberté pour les uns, et de l’égalité politique pour les autres, enfiévrait esclaves et affranchis. De plus, les colons qui étaient en majorité dans l’Assemblée, avaient rejeté tout le poids des impôts sur les citadins. Les habitants de Saint-Pierre, particulièrement révoltés par cette injustice, engagèrent avec les ruraux une guerre civile dont les épisodes sanglants se dérouleront pendant toute la période révolutionnaire.
À la proclamation de la République, les habitants de Saint-Pierre, malgré la défense du gouverneur, arborent la cocarde tricolore en apprenant la prise de la Bastille. Pendant la période de troubles qui s’ensuivit, le guadeloupéen Camille Dugommier, futur grand général des armées de la République, fut envoyé à la Martinique avec 100 volontaires pour rétablir l’ordre. Il dut y revenir deux fois de suite pour mettre fin aux luttes qui sévissaient entre royalistes et républicains.
Une contre-révolution organisée en 1793 par le gouverneur comte de Béhague, gagné à la cause royaliste, permet aux Anglais d’attaquer à nouveau l’île déchirée par les luttes intestines. Le gouverneur Rochambeau repousse les Anglais que les royalistes avaient appelé à leur aide.
Les Anglais reviennent à la charge en 1794. Ils débarquent cette fois à la Trinité. Malgré une vaillante résistance, le gouverneur Rochambeau qui s’était réfugié au Fort-Desaix, fut obligé de capituler après un bombardement de 32 jours.
En 1792, l’Assemblée législative avait décrété que les hommes de couleur libres jouiraient des droits politiques.
En 1794, la Convention nationale avait proclamé l’abolition de l’esclavage dans toutes les colonies françaises. Le lendemain, les Anglais débarquaient à la Martinique. La population de couleur ne put jouir de la liberté qu’on venait de lui accorder.
Jusqu’en 1801 elle resta sous la domination anglaise. Quand à la signature du traité d’Amiens, elle redevint française, ce fut pour voir rétablir avec Bonaparte l’esclavage et même la traite.
C’est à cette époque que Fort-Royal prend le nom de Fort-de-France.
En 1809, la Martinique subit une nouvelle invasion anglaise. Du Robert où ils débarquent, 15.000 anglais se rendent au Fort-Desaix qu’ils assiègent et forcent bientôt l’amiral Villaret-Joyeuse, gouverneur de la colonie, à capituler. À noter qu’hommes de couleur et esclaves se révoltèrent à plusieurs reprises contre l’occupation anglaise. Ces rebellions furent toujours sévèrement punies.
Après avoir évacué l’île en 1814, en exécution du traité de Paris, les Anglais devaient revenir une dernière fois à la Martinique qu’ils occupèrent pendant les Cent-Jours. Depuis le traité du 20 novembre 1815, elle n’a subi aucune attaque étrangère. Elle est redevenue définitivement française.


LA MARTINIQUE ADMINISTRATIVE ET SOCIALE DU XVIIIe SIÈCLE À NOS JOURS

Nous avons vu qu’avant la création de l’Assemblée coloniale, la Martinique était soumise au régime de l’assimilation, c’est-à-dire, qu’elle était administrée comme une province française. Nous avons vu également la gravité des troubles que provoqua la mauvaise répartition de l’impôt, entre les citadins et les ruraux.
Sous Bonaparte, les commissaires de la Révolution furent remplacés par trois chefs : un capitaine général, un préfet colonial et un grand chef de service judiciaire.
Les hommes de couleur libres pouvaient faire partie de la milice, mais tous les Martiniquais, de 16 à 45 ans, étaient appelés sous les drapeaux.
En 1805, le Code Napoléon est promulgué aux Antilles.
La Restauration et la Monarchie y rétablissent les institutions antérieures à 1789, surtout en ce qui concerne les privilèges commerciaux de la métropole, mais elles y maintiennent le Code civil.
Le gouverneur faisait alors fonction d’intendant et d’administrateur. Un directeur de l’Intérieur lui fut adjoint.
La Monarchie de Juillet remplaça, en 1833, les Conseils généraux par des Conseils coloniaux dont les abus de pouvoir causèrent le retour à l’ancienne institution. Mais on restreignit les attributions législatives de ces Conseils généraux. Ils nommaient deux délégués près du gouvernement du roi.
Le 24 février 1831, une ordonnance de Louis-Philippe accorde les droits civils à tous les hommes de couleur libres. En 1833, une autre loi étendit ce privilège à toute personne née libre ou ayant acquis légalement la liberté.
Dès avant 1789, plusieurs controverses avaient commencé en France sur la légalité de l’esclavage, la condition des esclaves. Lors de l’application de cette dernière loi, deux partis s’étaient formés en France, pour et contre l’extension des droits politiques aux hommes de couleur.
À cette époque se place l’action du grand libérateur et ami des noirs Victor Schœlcher, qui devait devenir, pendant la IIe République, sous-secrétaire d’État aux Colonies. Aidé
d’hommes généreux, comme Lamartine, Ledru-Rollin, dans sa propagande sociale, c’est lui qui, par sa prédication passionnée, obtint, lors de la révolution de 1848, l’émancipation générale des esclaves. Il arracha au ministre Arago le décret qui instituait en même temps le suffrage universel aux Antilles. La Martinique eut alors trois députés : Bissette, Pory-Papy et Schœlcher.
Des indemnités furent accordées aux colons dépossédés de leurs esclaves.
Mais le coup d’État du 2 décembre 1851 et la proclamation du Second Empire vinrent modifier ces institutions libérales. Le suffrage universel fut supprimé. Les maires et les conseillers municipaux furent nommés par le gouverneur. En 1854, un sénatus-consulte de Napoléon III organise le Conseil général.
C’est alors que l’Empereur fit venir aux Antilles, à côté d’un nombre restreint d’engagés français ou européens, des Chinois et des Hindous qui devaient suppléer à la carence des anciens esclaves.
Plusieurs événements historiques marquent cette période du IIe Empire.
Le rôle important joué par le Fort-de-France pendant la guerre du Mexique. La citation à l’ordre du jour du corps expéditionnaire dont faisait partie une troupe de volontaires
et d’ouvriers de génie créoles pendant cette même guerre.
En 1870, les Martiniquais, engagés volontaires, se conduisirent aussi héroïquement sur les champs de bataille européens, et reçurent les félicitations du haut commandement.
Signalons aussi l’unique combat naval qui fut livré dans la mer des Antilles par le stationnaire Bouvet à la canonnière allemande Météore. L’aviso le Bouvet fut cité à l’ordre du jour de la division des Antilles.
Dans l’ordre matériel, en 1867, la Compagnie Générale Transatlantique organise, entre la France et les Antilles, un service régulier de vapeurs. Elle fait de Fort-de-France, son port d’attache. Une année plus tard, l’ouverture d’un Bassin de radoub, vint donner un nouvel essor à la prospérité de l’île.


LA IIIe RÉPUBLIQUE

En septembre 1870, après la capitulation de Napoléon III à Sedan, la République fut proclamée en France et dans les Colonies. Le suffrage universel fut donc rétabli à la Martinique, en même temps que la représentation coloniale. La Martinique compte aujourd’hui deux députés et un sénateur.
La guerre de 1914 est trop proche pour que nous nous étendions sur l’aide valeureuse apportée par les Martiniquais sur tous les fronts français. Pendant ce conflit mondial, la Martinique a adopté comme filleule la ville d’Étain et lui a envoyé des sommes importantes, en même temps qu’elle dirigeait vers la France le presque totalité de sa production de rhum.
Sur 14.904 hommes mobilisés à la Martinique, 8.788 avaient été envoyés en Europe. Sur ce nombre, il y a eu 1,750 tués et plus de 2000 blessés.
La Martinique compte maintenant trois ordres d’enseignement primaire, secondaire et supérieur, auxquels il faut ajouter l’enseignement technique et professionnel, des écoles libres et un ouvroir pour jeunes filles. Tous les établissements affectés à ces différents enseignements possèdent des programmes conformes aux plans d’études des écoles et lycées de la métropole. Le français est la langue maternelle de la Martinique. Son patois, qui est d’ailleurs une déformation du français, n’a retenu de l’anglais, après plus d’un demi-siècle d’occupation, qu’un nombre infime de mots. La Martinique est maintenant une sœur latine de la France, une parcelle de la patrie lointaine.

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